Déçues et frustrées de ne pouvoir rien faire pour ces gosses
de rues qui nous regardent avec des yeux supplicateurs à chaque carrefour, nous
avons décidé d’agir en nous engageant pour un orphelinat au Nord de Bombay car Marion,
une des étudiantes françaises, connait une famille d’expatriés qui s’occupe de
cette structure tous les dimanches et qui nous a proposé de les aider.
Le Swagate Ashram accueille
plus d’une soixantaine d’enfants de tous âges ainsi que quelques personnes
âgées rejetées par leur famille. L'objectif de cette structure est l'éducation car les enfants doivent apprendre l'anglais pour qu'ils puissent trouver un travail à leur sortie de l'orphelinat, ainsi la plupart des enfants sont scolarisés sauf ceux qui ont le sida qui ne peuvent avoir de papiers pour être admis.
Le logement, les fournitures scolaires et la nourriture coûtent 63 roupies par jour et par enfant soit moins d'un euro...Ce foyer est situé dans le district de Malad, à 45 min de chez nous dans un tout autre Bombay. Il n’est pas aisé de s’y rendre mais je ressens un peu ce parcours comme un voyage initiatique nous permettant d’abandonner notre monde afin d’en rejoindre un différent. Laissez-moi essayer de vous y emmener avec moi…
Le logement, les fournitures scolaires et la nourriture coûtent 63 roupies par jour et par enfant soit moins d'un euro...Ce foyer est situé dans le district de Malad, à 45 min de chez nous dans un tout autre Bombay. Il n’est pas aisé de s’y rendre mais je ressens un peu ce parcours comme un voyage initiatique nous permettant d’abandonner notre monde afin d’en rejoindre un différent. Laissez-moi essayer de vous y emmener avec moi…
Chaque mercredi, nous partons à 7h du matin en rickshaw pour rejoindre Versova Creek, un endroit fabuleux d’un cachet inimitable d’où nous prenons un ferry pour rejoindre Malad Creek.
L’arrivée à l’embarcadère se fait par un dédale de rues
étroites et animées jonchées de marchands de couronnes de fleurs en plein
travail en cette période de festival. De vieux bateaux de pêche sont amarrés
sur la plage et le flot de travailleurs qui les entoure atteste qu’ils sont
prêts à partir en mer d’un moment à l’autre. Des centaines de drapeaux multicolores
flottent dans l’air saturé par une odeur âcre de poissons séchés et de détritus.
Elle est si présente qu’elle vous prend à la gorge, inspirez un bon coup et
laissez la vous envahir en avançant sur le sable souillé.
Tout autour de vous les couleurs dansent dans une agitation
tranquille : des femmes et des hommes s’activent à la tâche avec rapidité
et douceur. Certains charrient sur leur tête leur précieuse pêche séchée au
soleil, d’autres déchargent des barques colorées de magnifiques paniers en
osiers remplis de minuscules poissons blancs, certains rincent le poisson dans
cette eau ultra polluée avant de vider leur cargaison dans des caisses en plastique
gardées par un groupe de femmes. Des hommes viendront ensuite chercher ces
caisses afin de les entreposer sur une charrette en bois qu’ils conduiront vers
la ville.
Pendant ce temps, le ferry quitte Malad Creek pour venir
vous chercher. Il est bondé, des femmes en saris vous regardent, certains
hommes sont déjà de l’autre côté de la balustrade prêts à descendre. Le ferry vient se poser délicatement sur le
sable, une longue planche de bois est affrétée pour faire descendre les
passagers puis des motos sortent du bateau, il est désormais vide, c’est à
votre tour. Vous quittez doucement ce port d’une autre époque en écoutant le chant
des corbeaux réclamant leur du dans une lumière rasante.
De l’autre côté de la crique, des rickshaws vous attendent.
Les règles de Bombay en matière de rickshaws ne s’appliquent plus ici :
montez à 5 dans l’auto en vous serrant comme vous pouvez et payez sans meter. Bien
sur on vous réclamera trop comme toujours, mais ils ne voudront pas négocier un
seul instant et seront solidaires les uns les autres, vous n’avez pas le choix,
laissez vous donc aller. Après 15 min à travers la campagne bordée par des
abris de fortune et quelques hôtels, vous arrivez à destination.
Au bout du chemin de terre, vous apercevez des petits
garçons courir, un vieillard se déplacer avec sa gamelle en fer et des petites
filles en train de discuter. Vous êtes repérés. Certains enfants vous sourient
déjà.
Une étrange prière est en cours : une vieille femme
récite des chants catholiques impossibles à identifier dont ne vous
reconnaissez seulement que quelques alléluia qui ponctuent cette prière dont
la musique et le rythme ressemblent, à s’y méprendre, à un rituel hindou. Une
bâche avec des petites images de Jésus entourées de cœurs roses vous ramènent néanmoins
au sein de leur communauté catholique. Asseyez-vous en attendant que les
enfants prennent leur petit déjeuner et dégustez un chai, le thé indien par
excellence : épicé, sucré et lacté. Ne refusez pas, cela les vexerait. Des
enfants viennent vous voir pour réclamer un câlin, vous demander votre nom ou
vous apprendre comment faire un check indien ou la version locale du 3 petits
chats, 3 petits chats, 3 petits chats chats chats, chapeau de paille, chapeau
de paille, chapeau de paille, paille, paille..Une petite de 2 ans monopolise
votre attention, elle a deux ans et grimpe le long de vos jambes pour se mettre
sur vos genoux. Elle n’est pas légère, c’est un beau bébé potelé qui vous
regarde en souriant vous montrant ses petits chicots. Aapka naam kya hai ? Vous entendez Maelle, cela n’est
surement pas ça mais cela n’a pas d’importance, contentez-vous de la faire
sauter sur vos genoux et de lui faire des guilis, le succès est garanti.
Les enfants sont en rang d’oignions et attendent que les
plus grands remplissent leur gamelle en fer d’une ration de riz mélangé à
quelques légumes et des épices. Des petits de 6-7 ans servent le chai à l’aide
d’une bouilloire dans des godets en fer, ils en mettent partout et essuient les
ratés avec un t-shirt trouvé par terre. Les enfants dévorent leur assiette et
certains vont se resservir avec difficulté car le tian posé sur un banc est bien plus grand qu’eux.
Des enfants rangent les assiettes, certains balaient le sol
et d’autres sont déjà en train d’aller chercher leur cartable pour faire leur
devoir. Essayez vous tous par terre dans la pièce principale sous le regard des
vieillards allongés sur leur lit et formez des petits groupes de niveau. Aujourd’hui
vous avez le niveau 3, ils apprennent à lire et à compter. Ils vous tendent
leur cahier, donnez leur des additions, soustractions et multiplications. Ils s’exécutent en comptant sur leurs doigts, certains sont très rapides, de vrais petits génies en herbe, si seulement quelqu'un pouvait s'occuper d'eux chaque jour... Ils en ont marre, ils veulent lire désormais. Ils
sortent un petit livre de lecture abîmé et commencent à lire un paragraphe chacun. Un d’entre eux a quelques
difficultés, son camarade lui souffle la réponse. Vous grondez de le laisser
faire en essayant d’expliquer qu’il faut décomposer le mot en plusieurs
syllabes pour pouvoir lire le mot. Ils ne savent pas faire, il est écrit
« engine » et ils lisent « english », ils essaient de
deviner les mots, ils lisent quelques phrases sans regarder le livre, plus
aucun doute, ils apprennent leur livre par cœur. Comment faire ? Enseigner
c’est répéter, allons-y. Décomposez le mot, prononcez le avec eux. Vous dites
« Tree » ils ne vous comprennent pas, dessinez alors un arbre sur le
cahier pour qu’ils reconnaissent le mot. Ils rigolent un peu et répondent « It’s Trrrrrrrrrree ». Ok
ils connaissent l’anglais mais vous allez devoir prendre l’accent indien, ça
devient vital. Quelques indices :
« We want » est à prononcer « Vi Vante » et
« read » est à prononcer « rrrrrrrrrrrread »
Pendant ce temps, des enfants se joignent au groupe, vous
leur donner un paragraphe à lire puis ils repartent, des enfants plus jeunes
viennent s’asseoir sur vous genoux et commencer à vous raconter une histoire en
hindi. Vous ne comprenez rien, vous êtes si décu. Une petite fille répète sans arrêt le même mot,
inquiet, allez chercher Arpit, l’étudiant indien qui vous accompagne, pour
traduire. Elle veut du chocolat. Ce n'est pas si grave. Un
groupe de plus jeunes essaie d’apprendre le nom des aliments. Ils
connaissent : apple, mango, tomato, potato et…Cadburry. Qu’est ce que
Cadburry vient faire là ? Vous les regardez avec un air réprobateur. « Cadburry ! »
« Cadburry chocolate ! » crient-ils en cœur... Ils voient ensuite le mot
et la photo de spaghettis et lisent «Maggie ». No ! It's not right ! Décomposez le mot :
« spa » « gué » « ti ». « Noodles,
noodles ! ». Ok, Maggie est le plus grand fabricant de noddles d'Inde, le marketing est partout…Le bruit monte, les enfants
commencent à se distraire, midi approche. Faisons un jeu.
Faites un grand cercle. Le but du jeu est de se faire passer
de mains en mains un gobelet pendant qu’un adolescent au centre du cercle joue du
tam tam. Si vous avez le gobelet lorsqu’il arrête de jouer, vous aurez un gage. C'est parti pour une ronde endiablée. Le 1er enfant perd, il doit danser, il est timide et n’est pas
content mais il gagne un petit cadeau, le 2ème chante, le 3ème
récite une poésie et les autres les accompagnent. C’est génial. On change de
jeu, il faut maintenant danser au son du tam tam et dès que la musique s’arrête il ne faut
plus bouger et rester comme une statue jusqu’à ce que la musique reprenne. Si
vous bougez vous serez éliminé. Ces enfants ont véritablement le rythme dans la
peau, ils sont incroyables, vous paraissez ridicules. Le point positif c’est
que vous avez moins de chance d’être éliminé, vous ressemblez déjà à un morceau
de bois.
Il est déjà l’heure de partir. Les enfants se pressent
autour de vous, ils réclament quelques photos souvenirs, 1,2, 3
cheeeeeeeeeeeeeeeeese !
See
you next time teacher… See you next wednesday guys... Vous avez déjà hâte de retrouver vos petits élèves…